"Qui veut se
connaître, qu'il ouvre un livre".
Jean Paulhan
Vous avez sans doute remarqué mon entrain pour les livres.
En effet, autant que je sache, le livre a toujours fait partie intégrante
de ma vie. J'aime le toucher, me retrouver dans des brocantes et
feuilleter quelques pages jaunies, parfois même craquelées. J'aime le
sentir, le retrouver sur l'étagère d’une librairie. J'emprunte très
rarement lorsqu'il est question de loisir car je n'aime pas me laisser envahir
par le stress d'une date butoir puisqu’une fois en ma possession, le livre et
moi développons une relation, il m'accompagne aussi longtemps qu'il le faudra. Souvent
je le commence pour y revenir que plusieurs mois après et en attendant, je
passe à autre chose. J’ai souvent
abandonné des lectures que je trouvais trop contraignantes car un livre ne se
subit pas, il doit procurer du plaisir.
Lors des rares occasions où j'ai suivies les recommandations d'un
ami ou de ce qui se lit en ce moment, de ce qui est à la mode, j'ai souvent été
déçue.
En effet, le livre doit vous parler VOUS avant tout. Nous le
choisissons souvent en fonction de l'attente (souvent tacite) que nous avons de
lui avant de nous y lancer, souvent aussi à cause de notre vécu.
Souvent le choix se fait pour la fiction, un roman qui nous
transporte le temps de quelques heures dans un monde dans lequel nous aimerions
nous retrouver: une époque précise, une situation particulière, pour la
détente, pour l'amour, pour les émotions, pour l'érotisme, pour l'aventure,
pour le mystère.
Puis, le choix se précise si nos attentes sont plus pédagogiques:
psychologie, sociologie, philosophie ou autre. D'autres fois, nous le
choisissons pour des raisons pratiques, recettes, jardinage, tricot, couture,
maîtrise d'un logiciel quelconque. Bref, les choix sont multiples.
En ce qui me concerne, les romans autobiographiques, de voyages et
historiques ont toujours été un de mes choix de prédilection. Puis, j'ai
récemment découvert la poésie, sans compter l'indétrônable lecture
philosophique qui nourrie mon quotidien et me permet de faire l'acquisition
d'une connaissance pas seulement académique mais essentielle pour affronter la
vie, les questionnements.
Avant d'en arriver à une telle préférence littéraire, le parcours
a été long et ponctué de changements d'orientation.
Les livres se sont d'abord les séances de lectures des manuels
scolaires à six ans avec ma maman après chaque journée à l’école. Je me
souviens encore de la rengaine des premières lignes que j’avais alors
apprises :
"Il est midi, voici papa, voici Lili. Ils ont pris un
taxi......".
Puis, viendra l'histoire des trois petits cochons, un petit livre
illustré que je me ramène mon papa parce que je réussis à un contrôle à huit
ans.
Vu mon engouement pour l'affaire, cet évènement sera suivi par
bien d'autres, en l'occurrence le noël suivant, où nous nous retrouvons au pied
du sapin à minuit pour déballer les cadeaux. Le salon est rempli de
cadeaux pour tous les enfants, vélos, poupées et pour moi, ce gros paquet
argenté. D'abord je fais la réflexion suivante à maman :"Pourquoi
mon paquet lui il est emballé à l'envers? Elle me rétorque "C'est parce que
le tien contient un trésor qu'il te faut découvrir à l'intérieur".
Je m'étais contenté de cette explication, satisfaite, impatiente de rencontrer
ce fameux trésor. Puis, une fois m'être acharné sur le papier cadeau, je restais médusée devant le tas de livres qui s'y
logeaient - toute la collection Barbie ("Barbie aux sports d'hiver",
"Barbie à la mer", etc., etc....), pleins d'autres petits livres
illustrés, en anglais, auxquels je ne comprenais pas grand chose même si je
lisais déjà l'anglais. Je me rappelle avoir été partagée à la fois entre
la déception de ne pas avoir reçu de poupée Barbie et le sentiment que si l'on
m'avait offert ce cadeau, c'est parce que l'on attendait quelques choses de
moi, où éventuellement parce que l'on avait dû remarquer une qualité quelconque
en moi.
Plusieurs années plus tard, je me remémore ces évènements et je
prends conscience de beaucoup de choses. Mes parents étant de classe
ouvrière, je n'ai jamais vu de bibliothèque chez moi et m'offrir des livres à
chaque noël était sans aucun doute la traduction de ce qu'ils projetaient
pour moi. C'était leur projet pour ma vie, il faudra que je m'émancipe de
ce statut social dans lequel eux étaient bloqués.
Maintenant que je deviens aussi maman, je mesure l'ampleur de leur
ambition pour moi et je n'ai qu'une envie c'est de leur crier "MERCI".
Je suis convaincue que transmettre le goût des livres aux enfants
est le plus beau cadeau que les parents puissent faire à leurs enfants.
Au lieu de les entourer de jeux vidéos, de tablette tactile ou de les
clouer devant le poste d'un téléviseur à longueur de journée afin de grappiller
ça et là quelques heures de répis. Lire permet inévitablement à votre
enfant de mettre en éveil son imagination, ainsi les images se forment dans sa
tête, il devient plus créatif puisque la lecture donne aussi place à l'ennui et
Dieu sait comment il est essentiel qu'un enfant apprenne à s'ennuyer, chose que
redoute beaucoup de parents dorénavant, expliquant leur besoin compulsif de
toujours vouloir occuper leurs enfants dans un tas d'activités.
En m'initiant aux livres, mes parents m'ont offert tout cela, ils
ont indirectement contribué à ce que je développe un esprit critique et
qu'adulte, je sois en mesure de remettre en question beaucoup de choses sans
les subir. Donc pour ce cadeau, encore une fois "Merci", car ils
étaient conscients qu'ils ne pourraient pas tout m'apprendre mais ils m'ont
laissé un vrai outil, une assurance-vie contre l'ignorance.
Je regarde une vidéo d'un entretien de Frédéric Beigbeder dans
"LA GRANDE LIBRAIRIE" et ce sentiment se confirme en moi.
Il dit la chose suivante à la question "C'est quoi un livre
qui change la vie?"
"Les livres sont des
modes d'emploi qui nous apprennent à vivre. Souvent, j'ai peur pour les gens
qui ne lisent pas. Quand on va chez les gens et que l'on voit qu'il n'y a
aucun livre, je me dis 'mais ils ne savent pas comment vivre!' parce que
personne ne leur explique et on ne vous l'apprend pas à l'école. A
l'école, on vous apprend des connaissances, on a des parents qui nous éduquent
mais ils ne peuvent pas nous apprendre à aimer, à réagir, devant un chagrin, à
devenir adulte, à tromper sa femme. Tout ça, on l'apprend que dans les
livres."
Alors, je me demande, perplexe, "Comment font les gens qui ne
lisent pas?"
Savent-ils qu'ils ne savent pas? Savent-ils qu'il y a une
infinité de choses qui ne leur ait pas dévoilé?"
De quoi se nourrissent-ils? De suppositions, d'ignorance, de
doutes, d'affirmations non-fondées.....
Lire c'est voyager sans lever le petit doigt. Le livre est
pour moi un objet précieux, qui dépasse le temps car il ne connaît pas
l'obsolescence.
Nous avons tous notre façon de lire : au lit, enfoncé dans le
Voltaire de vos grands-parents en hiver, dans un hamac ou dans le jardin lorsqu'il
fait beau, dans les transports en commun. En ce qui me concerne, j'ai une
certaine propension à apprécier la position allongée, toujours un crayon à la
main car j'ai une petite manie depuis mes huit ans, c'est que chaque mot
jusqu'alors inconnu fait objet d'une vérification de sa définition dans le
dictionnaire. Puis, je souligne souvent les jolies expressions,
descriptions ou citations employées par l'auteur. Je lis toujours entre
les draps, été comme hiver car suit juste après une petite sieste car je pique
vite du nez lorsque je lis le jour. La nuit, lorsque l'insomnie me
guette, le livre reste toujours mon fidèle compagnon et le seul remède à ce que
je puisse retrouver le sommeil.
Lire, ce n'est pas marquer la supériorité de son savoir, lire,
c'est reconnaître que je ne sais rien et que j'ai tout à apprendre. Lire
c'est accepter en toute humilité sa propre ignorance et c’est une manière de
dire à celui qui écrit :
"Apprends-moi".
Ainsi, ne pas lire c'est tacitement reconnaître que je sais tout
et que les autres n'ont rien à m'apprendre.
Quelle sotte prétention!!!!!
N'hésitez pas à donner vos livres, à les prêter car un livre peut changer une vie. Le livre n'est pas fait pour accumuler la poussière au fond d'une bibliothèque, c'est un objet qui vit.
Et si demain était la fin de ce monde et que l'on me proposer de
ne ramener qu'un seul objet, la question ne se poserait pas deux fois.