vendredi 23 janvier 2015

LE VOYAGE


En croquant dans ma tartine toastée et beurrée ce matin (comme tous les matins), je me remémore la conversation que j'ai eue la nuit dernière avec petit chat avant que nous nous laissions transporter dans les bras de Morphée.
Il m'avait scandé un "Tu choisis" à ma question "Où partons-nous en vacances cette année?"
Le choix est vaste, restons-nous en Europe (ma destination de prédilection), partons-nous pour une île ensoleillée pour se prélasser sur un transat au sein d'un hôtel cinq étoiles,  ou plutôt à la découverte de l'Asie (une destination qui semble être une vraie aventure en ce qui me concerne, moi qui déteste la pollution massive qui règne dans beaucoup de ces pays), ou pourquoi pas l'Amérique latine (les Etats-Unis  sont malheureusement relayés en dernier sur ma Travel List et au risque de m'attirer la foudre, c'est une destination qui ne m'attire absolument pas, bizarrement New York, Hollywood, Las Vegas sont loin de m'enchanter).

Toutes ces questions m'ont amenées à me poser la question du:
Que recherches-tu réellement dans le voyage?  Qu'attends-tu d'un voyage?
Forcément, la question de ma relation avec le sens du voyage n'en est plus qu'évidente. 

Vivant en Europe depuis quelques années maintenant, j'ai pris goût à découvrir ce vieux continent, si riche en Histoire et tellement de jolis endroits à découvrir, rien qu’en France qui à mon sens est un des plus beaux pays au monde pour le peu que j’ai pu voir. 
Or, depuis quelques temps, lorsqu'il est question de choisir une prochaine destination, je stagne, un peu lassée des mêmes images que prennent mes camarades lors de leurs voyages. J'ai l'impression qu'ils font tous la même chose et je me dis "sans même avoir été dans ces lieux, il semblerait que je commence à connaître les lieux qu’ils visitent par cœur » -  fait auquel je donne l'explication suivante: nous sommes tous programmés comme des automates à suivre les recommandations des autres.

Oui nous connaissons bien le "quand tu vas à Paris, tu peux faire ceci et cela", ou encore, nous avons une fâcheuse tendance à suivre les recommandations des guides touristiques.  Mais sommes-nous conscients ce que traduisent en réalité l'usage de ces guides? La réponse s'impose à moi: il sous-entend que quelqu'un d'autre a vécu l'aventure avant moi et me propose des conseils afin que je puisse vivre la même aventure que lui. Dans ce cas est-ce vraiment une aventure pour moi puisqu’elle n’est plus vraiment mienne ?

Ne suis-je pas au final qu'un simple touriste (que je distingue du vrai voyageur, du vrai baroudeur -celui qui part avec peu d'argent, avec pour seul compagnon son sac-à-dos et ses chaussures de randonnée et qui part pour longtemps se mêler aux peuples jamais rencontrés auparavant)?

Le touriste lui, se contente de s'acheter un billet, voire plusieurs billets après avoir travaillé comme un forçat durant toute une année, s'être privé de bien de choses au quotidien et après y avoir mis toutes ses économies.  
Il a déjà réfléchi au périple qu'il va entreprendre.  
Il s'informe au préalable auprès de ses proches, de ses amis qui ont déjà tenté l'expérience avant lui afin de récolter ça et là quelques bribes de conseils, de choses à faire, à ne pas faire, de sites à explorer, d'idées shopping, et cetera, et cetera...
Après avoir pris l'avion, il se dirige directement vers son hôtel qu'il aura réservé auparavant - s'assurant d'avoir choisi un bel hôtel, pas trop couteux quand même, convaincu d'avoir fait une bonne affaire.  Puis, une fois s'être "acclimaté" pendant quelques heures avec le lieu et ses environs, voilà que commence pour lui « l'aventure ».  
Il consulte un nombre incalculable de fascicules qui lui suggèrent d'aller voir tel ou tel musée, tel marché, tel site historique, de se sustenter à tel ou tel restaurant, pourquoi pas le « city sightseeing ». Il suivra ce rythme effréné tout au long de ses vacances, puis au bout de quelques jours (généralement pas plus d'une semaine), il rentrera chez lui, content de ces quelques jours qu'il s'est octroyé au terme de bien de sacrifices, fier de pouvoir enfin partager les deux mille photos en réserve sur son appareil photo, reliques de ces moments qui "resteront à jamais gravés dans sa mémoire", parole d'un homme heureux.

CONFIDENCE: j’ai toujours été cet être là!!
Et oui, hormis les deux expatriations que j'ai pu vivre et la troisième que je vis en ce moment même mais qui s’en doute n’en sera plus une, j'ai en réalité toujours voyagé en touriste.  Cette constatation a fait résonner en moi le glas, comme une vive sonnette d'alarme, un appel au changement, car non non non, je ne veux pour rien au monde être un automate, un programmé, je ne veux plus faire le touriste.
Je ne veux pas voir les gondoles à Venise, poser devant la garde suisse du Vatican, devant la tour de Pise, La Tour Eiffel ou la statue de la Liberté.  Je ne veux pas seulement voir, être un simple spectateur.

En effet, suffit-il de "voir" seulement pour voyager?  Suffit-il d'être à un endroit précis pour voyager? Puis-je dire que j'ai été dans un tel ou tel pays rien que pour y avoir mis les pieds et passé quelques heures?  
Se la couler douce sur une plage au sable doré appréciant le luxe d'un hôtel? Est-cela ma définition du voyage?  
NON, mais je la cherche toujours ma conception du voyage, elle s'enfuit à chaque fois que je m'approche d'elle.  Elle ne veut pas se dévoiler à moi, elle se trouve des excuses, elle me susurre à l'oreille des "Tu as toute la vie devant toi", "Tu n'auras pas assez d'argent", "Tu as désormais une famille, bientôt un bébé, pour toi, l'aventure c'est fini ou du moins pas pour tout-de-suite", "C'est dangereux", "C'est osé".  Bref, tout pour me faire reculer.

Toutes ces directives, questions, tous ces moments d'incertitudes sont en réalité très proches d'un ultime questionnement: Quel sens est-ce que je veux donner à ma vie?
Une chose est sure, ou plutôt un semblant de réponse à cette question semble s'être dessiné dans ma petite tête: Je veux me trouver ou me retrouver.  Je veux être!
Je veux que mes convictions soient ébranlées, je veux prendre des risques- non pas à la manière des personnes qui mettent leurs vies en danger de manière irréfléchie parce qu'en réalité ils s'ennuient - mais par là j'entends le risque où j'aurai peur de prendre telle décision car ce ne serait pas une situation à laquelle j'aurai déjà été confrontée.
Je veux rencontrer des personnes, aller dans des familles, voir et comprendre comment ils vivent au quotidien.   Je veux marcher, marcher de longues heures.  Je veux être dans la nature, voir des phénomènes naturels pas des sites touristiques.   Je veux sentir la buée des premières heures du matin se coller à ma peau, je veux tendre la langue et goûter les flocons de neiges, je veux goûter tout simplement puis ne pas aimer mais néanmoins goûter.   Je veux apprendre les us et coutumes et cela pas d'après le guide du Routard ou le Petit Futé mais au terme de belles rencontres humaines.    Je ne veux pas fréquenter les grands centres commerciaux à la recherche de bonnes affaires, souvent inutiles, ou autres souvenirs à ramener qui finiront sur mon bureau à accumuler la poussière au fil des années.   
Je veux me payer sur place des souvenirs que l’on ne ramène que dans son cœur.  Je ne veux pas être attablée dans un restaurant fort luxueux pour apprécier les mets traditionnels qui passés sous l'appellation gastronomiques ne s'accrochent pas longtemps à mon estomac.  Je veux m'arrêter sur le parvis d'une place grouillante de passants à me délecter d'une glace et rire à pleine gorge d'anecdotes futiles mais au final pas si futiles que cela.  
Tout cela semble poétique n'est-ce pas?  Mais c'est justement ce que je veux - ajouter de la poésie à ma vie, pas de l'automatisme.  Je ne suis pas un logiciel qui doit s'appliquer dans telle ou telle situation.  Je ne recherche pas d'exotisme, bien que je n’aie rien à lui reprocher mais je n’entends pas là ce que nous occidentaux recherchons lorsque nous allons à l'étranger. L'exotisme, erronément traduit par luxe hôtelier, spa, orchidée et encens.
Je suis faite de chair et d'os, d'émotions, de besoins.  Et le plus grand d'entre eux est certainement le besoin de VIVRE, sans faux-semblant, voir le monde avec des yeux d'enfant, cet enfant qui arrive à éprouver une joie profonde, sincère, authentique rien qu'avec un morceau de bois.  EXALTATION.

Le voyage est l'occasion pour moi de découvrir ma propre étrangeté, de me dépouiller de moi-même afin de mieux me connaître.  Le voyage c'est aussi aller à la quête du sens caché de la vie comme l'homme nomade. C'est tourner mon esprit vers des vérités intelligibles, celles que l'on ne nous conte pas dans le Routard qui satisferont indéniablement mon goût du luxe mais pas ma considération pour la nature humaine.
Le voyage c'est faire l'expérience de soi mais aussi l'expérience des autres.  Par conséquent, faire l'expérience de l'hospitalité qui ne pourra jamais être authentique et désintéressée si je me contente du sourire du maître d'hôtel et de la réceptionniste.  Voyager c'est aussi faire l'acquisition d'un savoir, pas forcément intellectuel.  Nous voyageons trop souvent comme des ignorants, ignorant même les us et coutumes des autochtones, ignorant par conséquent la relativité des mœurs.  Ce qui fait que nous voyons ce nouveau monde sans un regard neuf mais apportons avec nous tous les préjugés entassés et rouillés.  

Le voyage c'est aussi l'apprentissage d'une nouvelle langue.  Mon rapport à la langue change obligatoirement car je deviens comme cet enfant qui bègue, qui hésite, qui doute, qui trébuche mais qui y arrive néanmoins.  Je fais ainsi l'expérience d'un début.  Nous n'avons pas assez de débuts au sein de notre existence mais trop de continuités, trop de suites, nous voulons trop suivre, suivre les autres, suivre une ligne droite qui limite nos chances d'être heureux.

Je ne veux plus courir parce que j'aurai cette épée de Damoclès qui me suspendrait au dessus de la tête à cause de l'éventuelle échéance d'un trop court séjour souvent trop onéreux pour mon compte bancaire.  
Pour partir sans rien, il faut peu en effet matériellement mais il faut beaucoup de courage, de détermination mais il faut avant tout OSER.  Ce premier pas, personne ne le fera à ma place.  Mais ce premier pas est à l'origine de ce nœud que j'ai à l'estomac, c'est le vertige avant le possible. 

Nicolas BOUVIER, un des plus grands aventuriers qu'a connu notre siècle, disait dans son livre "L'usage du monde" la chose suivante:  

Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu'il se suffit à lui même. On croit qu'on va faire un voyage mais bientôt c'est le voyage qui vous fait ou vous défait.

Mon questionnement doit surgir de là certainement, du fait que je ne veux pas de motif, je ne cherche rien en particulier, je ne veux avoir d'attentes, je veux juste faire l'expérience de l'existence, de mon existence, une fois confrontée à celles des autres.  Ça doit être un peu cela la définition (s'il y en a une) du voyage, la transformation qui s'opère en moi lorsque je suis ailleurs ne fait en réalité que me faire découvrir le vrai MOI.  Je pars dans l'espoir d'être changée, de voir du nouveau mais c'est pour mieux revenir à soi.  

De ce fait, ai-je besoin d'aller aussi loin géographiquement parlant, pour voyager ?
J’éprouve une vive admiration pour ces personnes qui, au détour de la prochaine ruelle sont capables de voyager.  Ainsi, chaque bâtiment, chaque faciès est décortiqué pour la fabrication d’un nouveau souvenir, un nouveau sentiment jaillit.

Le voyage c'est aussi l'imagination mise en mouvement, dans "Voyage au bout de la nuit", Céline disait:

Il suffit de fermer les yeux.

Je me prends à nouveau une claque car jusqu'à présent, comme le commun des mortels, j'avais ce besoin constant de prendre l'avion (que je déteste en fait) pour VOYAGER.  Etre dans un bus, un train, un avion, quelque soit le moyen de locomotion, ce n'est pas vraiment habiter un espace, je me transporte d'un endroit à un autre sans y être vraiment.  Or, j'éprouve désormais (les années et les rides s'accumulant sans doute) le besoin de m'arrêter là où les autres se laissent transporter. 

Ainsi, au moment où petit chat me dit "Soyons comme avant", je sentis comme un poids qui se déchargeait de mon épaule, car en effet le voyage ne devrait pas être une contrainte.  Ni dans sa préparation, ni dans son vécu, ni pour l'imagination.
Il doit tout simplement ETRE.
Son "Soyons comme avant", pour notre couple se traduisait par un "Soyons comme les enfants que nous avions été au début de notre relation", simples, frivoles, se laissant porter par une seule chose: l'AMOUR, les fous rires homériques, les chamallows engloutis au coin du feu tous deux emmitonnés dans une couverture alors que dehors il ne cessait de neiger.  La neige, la compagne de nos premiers jours ensemble, je veux la retrouver.  Nous étions en effet alors des enfants, dans nos cœurs et pourtant, nous n'avions jamais été aussi heureux qu'à ces instants, loin du monde mais pourtant à la fois si proches de lui.

Nous le sommes toujours, je veux dire- HEUREUX.  Mais nous avions connu en même temps, un autre état: celui où nous n'habitions pas encore ensemble, dans un endroit précis, dans notre maison.  Nous n'avions à l'époque aucun autre projet, tous ces projets, trop de projets.  Nous n'avions pas besoin de conditions pour être heureux, pas d'attente l'un envers l'autre, pas de conventions, de cadre stricte dans lequel devait se manifester nos sentiments.
Le seul projet que nous avions, était d'être HEUREUX et cela ENSEMBLE.   Maintenant que nous sommes ENSEMBLE, qu'avons-nous fait et que faisons-nous pour être HEUREUX?


Ne nous éloignons pas trop du monde petit chat, de celui que nous habitons, ne nous éloignons pas de nous car la seule chose que je désire c'est ce monde et NOUS.

Aucun commentaire: